âmes sans sommeil (eddy)

samedi.

elle a école aujourd'hui ?

non,
non eddy.
elle n'a pas école,
pas aujourd'hui.

crissement des roues dans les graviers de la cour d'entrée.
aux portes coulissantes vitrées, quelques personnes en train de fumer. il y a de tout, des gardes aux prostituées. un jour tranquille - les clients ont tendance à être moins présents, le samedi. vie de famille, gamins à la maison, on a moins l'occasion de rentrer tard du boulot pour aller au stradivarius.

je suis désolé
je passe la chercher
j'ai oublié
pardon

dans ses bras, l'enfant s'attache à son cou. elle a l'air d'avoir eu peur, peur qu'il parte et qu'il ne revienne pas - comme l'a fait maman, l'autre fois. il la tient, fermement contre lui. verres teintés sur le nez, il n'attend pas de vérifier si le pickup est fermé pour passer les portes de l'entrée. salutations furtives au personnel en train de fumer - il s'engouffre dans ce salon aux odeurs d'encens et de fleurs. hall d'entrée rouge et doré, magnifique endroit, sûrement pour cacher toutes les horreurs qui se trament entre les murs. sourires rapides à quelques connaissances étendues sur les canapés. la gamine attrape un regard connu, crie dans les oreilles de son père.

coco !

il ne l'avait pas vu.

de fatigue, de nerfs,
l'envie rageante d'asséner dans un meuble un coup de poing.
pourquoi tu ne peux pas faire une seule chose bien.

t'es habitué
à tout casser.

sa grande carcasse épuisée se retourne, lente, avant de déposer l'enfant à terre. les petites jambes habillées d'un collant en laine se précipitent jusqu'à la silhouette fine et élégante du jeune homme. une inspiration, de sa part à lui : s'il avait pu voir ses glaciers, eddy, il aurait vu comme il y rassemble tout le courage et le peu d'énergie qu'il a. comme le gel a perdu de son éclat. un pas dans sa direction, un autre - quelque chose ne va pas. une raideur dans le cou, le torse trop droit.

t'as vu coco,
papa il a une cicatrice de pirate.

sourire triste, désolé, adressé tant à la petite qu'à celui vers qui elle s'est précipitée. par politesse, il retire ses lunettes marius, expose non sans une certaine gêne ses cernes immenses sous ses yeux, sa récente faiblesse. elle a raison, romy. une cicatrice trône au front, encore rouge de la veille - points de suture grossiers, quelques-uns, pas grand-chose, ça va, ne t'inquiètes pas, ça ne fais pas mal. si tu voyais la gueule de la voiture.
aussi amochée que la sienne.

salut, c'est fini, les bonjour polis et froids du patron à son employé. il n'y a que la chaleur d'une voix rauque. désolé, j'ai- oublié romy.
t'as oublié ta fille, marius.

incapable de maintenir son propre sourire. les yeux mi-clos, à regarder de côté, l'épuisement l'emporte petit à petit (( t'as vraiment conduit dans cet état ? une fois ça t'a pas suffit ? )). il tient, pourtant. tient à tenir. il a des choses à prouver, des choses à dire. il veut maintenir son regard, ses yeux d'onyx, il veut apaiser ses tourments rien qu'en attrapant son sourire doux, son sourire d'enfant. avec ses tatouages au visage comme s'il s'était mis de la peintures sans le faire exprès, notes colorées en plus de ses cheveux teints.

de la douceur dans ses yeux.

souris-moi un petit peu,
tu veux ?