when the truth comes out | ruben

la cuisine était dans un état déplorable. des coquilles d’œufs éparpillées sur le plan de travail, leurs jaunes s’étant fait la malle quelques mètres plus loin, sur les coussins du canapé ou les cheveux de senn. ces pauvres poussins qui ne connaîtront jamais le monde des poulaillers. tout le monde avait pris pour son grade, y compris illusie, qui se baladait désormais dans l’appartement, ses coussinets enfarinés laissant des petites traces dans chaque recoin du salon. et pour couronner le tout, le brownie qu’ils devaient préparer ne verrait jamais le jour. il était indispensable pour eux d’en ramener un, c’était comme la tradition pour l’anniversaire de ruben. il adorait les brownies, et les jeunes spieghell l’adorait. pas question de se pointer sans son gâteau préféré.

« on fait comment alors ? » lâcha senn en dévisageant la cuisine d’un air las, ses mèches de cheveux dégoulinants du blanc épais des œufs.

lieven réfléchit un instant, à court d’idées. il ne restait qu’à aller en chercher un à la boulangerie au coin de la rue, nettoyer la cuisine et faire comme si c’étaient eux qui l’avaient soigneusement cuisiné, avec tout leur amour. elle finit par donner ses directives :

« illusie, reste dans ton arbre à chat. senn, tu cours acheter un brownie tout fait à la boulangerie. j’m’occupe de remettre l’appartement en état. »

ni une ni deux, les trois colocataires s’exécutèrent. la scène était plutôt folklorique. un bambin, cheveux gras mais vêtements quasiment intacts, qui courrait à toute allure dans les rues de son quartier, recherchant désespérément une boulangerie encore ouverte. un bout de femme, cheveux soyeux mais vêtements tachés par la démesure, qui frottait vivement son plan de travail, regrettant d’être rentré dans le stupide jeu de son petit frère. et enfin un chat noir, qui ne manquait d’aucune élégance même si ses poils étaient blanchis la farine, en train de fixer ce que faisait sa maîtresse avant de sortir par la fenêtre entrouverte pour aller se prélasser sur le toit de l’immeuble.

deux heures quarante-trois. ce fut le temps nécessaire pour tout remettre en ordre, se préparer et arriver au pas de la porte de l’appartement de ruben, hendrick et pat, le petit shar-peï de la fratrie. ils toquèrent, sceptiques, car ils savaient que leur retard allait susciter des explications de la part des hôtes de la soirée. c’est hendrick, l’aîné, qui ouvrit la porte, un sourire angélique courbant ses lèvres. lieven restait derrière senn, qui avait pris trois têtes de plus qu’elle au cours des derniers mois. ils se saluèrent d’une accolade digne de vieux amis de longue date, alors que la brune portait le carton contenant le brownie tout prêt pour ruben.
hendrick posa ensuite les yeux sur elle et s’empressa de la débarrasser de la boîte, avec son perpétuel sourire scotché sur son visage.

il est quand même canon, songea-t-elle en l’observant du coin de l’œil. mais aussitôt, elle chassa cette vile pensée de son esprit, avant de pénétrer dans l’appartement à la suite de son frère. elle s’était interdit de trouver un quelconque charme à hendrick, simple clause du pacte de l’amitié avec ruben. tout le monde entier, sauf la famille de son meilleur ami. alors elle ne goûtait qu’au plaisir de lui balancer quelques œillades discrètes et quand celui-ci se sentait épié, les yeux déviaient vers la première chose qui se trouvait devant elle. à cet instant précis, ce fut un vieux tableau de ruben accroché au mur.

pat sauta d’abord sur les jambes de senn, puis sur celles de lieven, sûrement très excité à l’idée de voir du monde. puis la star de la soirée fit son apparition dans le coin du séjour. le sourire de la brune s’élargit et elle courut à sa rencontre pour l’enlacer, annonçant, toute guillerette :

« joyeux anniversaire ! »

toute la journée, ruben s’était aventuré dans quelques techniques de peinture qu’il n’avait encore jamais explorées. son éternelle salopette était encore plus recouverte de peinture que la terre de forêt (bien triste, d’ailleurs) mais il était sorti satisfait de savoir un temps soit peu manier l’aquarelle. il avait prévu l’arrivée de lieven - pour il ne savait quelle raison - en fin d’après-midi, mais en vue de leur intimité il n’avait jamais pensé à ranger quelque peu son appartement ; d’autant plus que ce-dernier était mieux ordonné que les jours précédents.

planqué dans son atelier, qui servait aussi de chambre, qui servait aussi de débarras à son grand frère, il passa quelques instants avant qu’il n’entende la voix de senn percer le silence pesant du studio. à vrai dire, s’était-il même dit qu’il était né le jour même, vingt-deux ans auparavant ? pas vraiment, c’est lieven qui s’était obstiné à faire de ce jour un jour de fête ; ruben lui, n’avait jamais voulu célébrer sa naissance. il attendit quelques instants, mais c’est bien pat’ qui, la queue battante et cherchant à s’échapper de la chambre, confirma les quelques pensées volantes de ruben quant à l’arrivée de sa meilleure amie. il prit soin d’ouvrir la porte, mais c’est pat’ au grand damn de ruben, qui sera le premier dans les bras de lieven.

« l’aime pas plus que moi, et essuie la bave qui coule sur ton menton. »

il se tourne, se retourne, se place et se déplace. comme extirpé d’un rêve éveillé, il ne sait pas trop où mettre les pieds, ni même que faire pour l’instant. quand un “joyeux anniversaire” résonne dans ses oreilles, il bug un instant et relève le regard vers les nouveaux venus. un peu surpris de l’étreinte de lieven, il l’enlace à son tour et tape un peu le bas de son dos dans un geste affectif.

« ça fait déjà un an que j’ai vingt-et-un ans ? ‘passe vite. merci bande de vauriens. »

il se détache un peu de lieven tandis que hendrick se charge de débarrasser senn du brownie… un peu trop beau venant de leur part. s’ils cherchaient à berner derksen junior, c’étit raté. maaaaais, il ne dit rien, ravalant un rictus en soufflant du nez. il vient s’installer sur l’un des quatres tabourets près du haut bar de la cuisine et il se met frénétiquement à taper sur le marbre.

« les bougies, les bougies, les bougies, les bougies. »

c'était le moment tant attendu : ruben allait souffler les vingt-deux bougies qui ornaient son beau brownie et qui signaient un nouveau commencement pour une nouvelle année. lorsque hendrick souleva le couvercle du carton où reposait paisiblement le gâteau, senn donna un violent coup de coude dans les côtes de lieven en lui murmurant à l'oreille :

« on est trop cons. on l'a laissé dans sa boîte d'origine. »

la brune se rendit compte de la bêtise dont ils avaient fait preuve. ils avaient oublié de déplacer le brownie dans un plat adéquat, ou du moins, dans un plat qui provenait de leur cuisine, et non pas dans une vulgaire boîte de celle de la boulangerie. ils se regardèrent en biais, leurs yeux emplis de détresse à l'idée de décevoir leur ami. ce n'était pas la première fois qu'ils ramenaient un brownie venu d'ailleurs. l'année dernière, ce fut la tante spieghell, passante de quelques jours à leiden pour son travail, qui leur en avait préparé un digne de ce nom. il avait beaucoup plu à ruben. et l'année encore d'avant, ils avaient confondu brownie et fondant au chocolat. le birthday boy avait quand même été content, mais son amie s'était sentie humiliée. bien sûr, il ne savait pas tout ça. la dernière chose que lieven voulait, c'était l'attrister.

ils s'avançaient trop chez les spieghell. elle et senn pensaient que cette fois-ci, cette année allait être la bonne et qu'ils viendraient avec un excellent brownie fait maison, de leurs propres mains. qu'ils auraient la fierté plus grosse que le ventre en le mangeant.
et là, non seulement ils étaient honteux d'avoir acheté et non cuisiné, mais en plus, ils ne l'avaient pas changé de place. leur couverture tombait à l'eau, et ruben allait être le seul à décider de la sentence.

« allez, souffle ! » fit lieven après qu'hendrick ait allumé les bougies et placé le gâteau face à l'intéressé.

et une fois celles-ci éteintes, elle se mit à applaudir gaiement, accompagnée par les sifflements de son frère. senn s'était ensuite empressé d'attraper un couteau dans un tiroir bien précis - il connaissait cet appartement comme sa poche - pour s'occuper de la découpe du gâteau.

les parts dans les assiettes, la crème anglaise coulant sur les bords, la brune soupira avant de prendre la parole et déclarer :

« ruben, 'faut qu'on t'avoue un truc. »

elle et senn avaient échangé un regard entendu, hochant la tête.

le brun emmène son poing gauche à ses lèvres, et dans un hochement de tête certain, il racle sa gorge tout en masquant un narquois sourire. il comptait bien faire mine d’être étonné si les deux bambins s’apprêtaient à affirmer que le brownie était bel et bien industriel.

« hein ? vous me faites peur. »

sa voix est grave, bien plus grave que d’habitude, et pourtant tout le monde pensait ça impossible. ce timbre si marqué témoignait de la journée qu’il avait passé à procrastiner sans parler devant ses toiles : de ce fait il était comme enrayé. hendrick le savait et il était venu lui donner une bonne claque dans le dos en grommelant quelques injures ironiques à son égard. quelques railleries ; voilà le quotidien animé des derksen. ruben se charge de prendre la seule part dépourvu de cette sauce immonde que le monde daignait appeler crème anglaise et constate la perfection et l'homogénéité de sa part ; il en était sûr cette fois : le gâteau était du boulanger, et il saurait même dire lequel. mais, au lieu de faire comme-s'il n’était pas au courant, il lance à la volée :

« j’espère vraiment que ce gâteau est fait maison, vous aurez ma reconnaissance éternelle j’adore le brownie c’est vraiment mon dessert préféré quoi, l’alliance chocolat/sucre est à tomber ! et ne parlons même pas des noix présentes dedans qui ajoutent le côté croquant que j’aime trop. bref, une œuvre d’art. testez-moi même. ASSEYEZ VOUS À MA TABLE ET DITES : JE SUIS MEILLEUR QUE CE GÂTEAU. »

il en avait fait des caisses, et c’était bel et bien prévu. il voulait absolument voir la déception sur le visage de lieven, mais ça ne risquait pas d’arriver ; comme ruben savait pertinemment qu’ils avaient dû rater le brownie après une bataille de farine, elle savait qu’il mentait et qu’il jouait la comédie. il n’attend pas pour attraper les petits cuillères sorties par senn - qu’il remercie en passant, d’ailleurs - et se jette sur sa part comme un petit être affamé (il l’était).