brother. (bram ft ambrose)

A l'acte premier, le ciel déverse toutes ses larmes dans la nuit noire, un torrent de milliers de gouttelettes qui glissent dans son col et lui provoquent un frisson. Impossible pour le littéraire qu'il est de n'y voir un présage de ce qui l'attend dans le cocon habituellement réconfortant de son appartement. Raz de marée ou tremblement de terre : le frisson traverse l'échine une nouvelle fois, avec une intensité plus menaçante. Maaike, il gère. C'est délicat mais facile, elle a cette façon bien à elle de lui faire lâcher les armes. Ambrose, cependant... Ambrose, c'est différent. Parce qu'ils se connaissent, leurs desseins les plus sombres sans même se l'avouer. Et qu'appuyer là où ça blesse n'en est que plus satisfaisant ; une satisfaction qu'il devine d'avance, tandis qu'il passe le bois massif de la porte. S'il ne souffre pas, précisément, de la trahison, Ambrose lui fera au moins payer l'affront d'avoir osé une action décisive sans l'avoir auparavant mis dans la confidence. C'est la perte de contrôle qui lui est inenvisageable, insupportable. Le reste ne représente que des dommages collatéraux. En témoignent les valises accumulées dans l'entrée, contenant sa vie à lui, sous-entendu mène-la ailleurs qu'ici. En témoigne le discours froid que l'ami assène sans le moindre trémolos dans la voix. Il n'a pas hésité. Pas sourcillé. Une parfaite maîtrise des émotions. Et comme Bram s'avance, fantôme indifférent aux éléments physiques, dans la pièce, s'approche de l'imposante bibliothèque d'où il tire un livre, l'un de ses préférés, et en effleure du doigt la couverture de cuir. Muré dans un silence de plomb, il médite longuement la dernière remarque. La tourne et la retourne, l'égo blessé à vif. Elle a fait naître un goût amer dans sa bouche.
Enfin, il se retourne et fait face à l'assaillant. Le regard neutre, lèvres pincées. "Et quelle est-elle, je te prie ?" D'un ton monocorde parce que le sarcasme lui picote le fond de la gorge. Si l'interrogation est rhétorique, parce qu'il connaît son ami et ses airs grandiloquents, l'honnêteté brute de la réponse ne l'en intéresse pas moins. Au contraire, le besoin de connaître, enfin, ce qui se trame dans l'esprit du vis-à-vis devient plus pressante avec les secondes. Pourtant, c'est si limpide : dans l'ombre. Dans son ombre, là où il a toujours été finalement. Dans l'obscurité, bien dissimulé derrière un ouvrage ou l'autre. Derrière les épais rideaux de velours tandis que Maître Vanderbilt se forge une couronne attribuée par lui-même à lui-même — parlez d'un self-made man. N'est-ce pas là qu'a toujours été sa place ? Lui qui n'est, après tout, qu'un bâtard dont le mari de la mère a éprouvé pitié et affection, et a fait couler sur lui un patronyme digne d'un peu d'attention. Mais pas toute l'attention, évidemment que non. Seul Ambrose, le grand et le puissant, est digne de la lumière. "Mes remerciement à tes sujets, je m'en chargerai seul," ajoute-t-il sur le même ton détaché, rapport à ses quelques affaires rassemblées devant la porte, dégoûté à l'idée qu'un autre que lui-même pût y mettre les mains.
Et puis, parce qu'il est las et épuisé de la soirée, Bram se jette dans l'arène, s'offre en pâté au lion avec la résignation du condamné à mort. Debout, les mains croisées dans le dos, les phalanges blanchies à force de serrer son livre, et le gravitas dans la voix : "Dis-moi ce que tu as envie d'entendre, le temps nous sera épargné à tous les deux." Puisqu'Ambrose s'imagine grand marionnettiste à la toute-puissance, qu'il lui mâche d'avance le travail en tirant lui-même sur les fils et définissant lui-même la trame de cette tragi-comédie. Après tout, il semble si certain que le monde s'arrêterait de tourner sans son intervention divine — parlez d'un sérieux god complex — qu'il a vraisemblablement déroulé tous les actes dans son esprit frelaté, et qu'une attention particulière eût été accordée au grand final dramatique, en témoignent les affaires qui trônent, royauté déchue, dans un coin de leur appartement. Alors, ce qu'il attend de lui, Bram ne parvient pas à mettre le doigt dessus. A moins qu'il n'ait eu que le violent désir de lui faire retrouver sa place — auquel cas, consider it done.

@Ambrose Vanderbilt

Dans ses mains pâles, l'ouvrage raccroche le jeune de Graaf à un semblant de réalité, tandis que la scène qui se déroule devant lui semble tout droit sortie d'une mauvaise trame narrative. Le tourbillon mélo-dramatique qu'est devenu sa vie en l'espace de quelques heures, entre les effusions colériques, les faux-semblants et les non-dits. Aussi ses doigts se resserrent-ils plus fermement sur leur proie, avec une telle véhémence que ses phalanges picotent et brûlent, d'une même intensité que le regard d'Ambrose en vis-à-vis. Les flammes de la colère y dansent, menaçantes, et s'approchent si près qu'il en ressent la vive chaleur sur son visage fermé. Les yeux plissés, il accueille la menace à peine déguisée de son ami avec un mouvement imperceptible des épaules, le dos vouté comme si le monde venait d'y déposer tout son poids. Ça fait mal, quelque part dans ses entrailles. D'être mis sur le même plan que les autres, ceux qu'Ambrose abhorre et dégage de son chemin d'un simple revers d'une main glaciale. Amis de toujours, frères dans bon nombre d'aspects, plus encore que les vraies fratries et ceux qui n'ont pas choisi, leur rôle ayant été attribué sciemment n'en a qu'une signification plus profonde. Et pourtant, traître à ce qu'ils ont toujours été l'un pour l'autre, Bram devenu comme ces autres, fondu dans la masse informe de ces autres qu'Ambrose jauge, le mépris qui déborde de ses iris.
La question, fatale, résonne si bruyamment contre les parois de son crâne, que les débris de verre étalés sur le sol apparaissent soudainement comme par magie. Il n'a rien vu du mouvement, rien vu du liquide ambré qui s'est déversé comme le sang d'un coup de couteau (métaphorique) dans le dos. Rien deviné de la rage et du venin qui s'échappent et claquent, et il n'en prend conscience que lorsqu'il est violemment plaqué contre un mur, les mains d'Ambrose refermée sur le col de son manteau et les reproches déversés comme autant de gifles sur chacune de ses joues. Il en a le souffle coupé, lui qui n'a jamais perçu la noblesse dans l'art de se battre physiquement, mais ne sait si c'est le geste ou les mots qui tranchent plus durement dans sa chair à vif. "Peut-être que c'est ça, finalement, de se prendre pour un Dieu. N'est-ce pas ce que tu as toujours voulu ?" Si la voix tressaute, ce ne sont que les accents de surprise qui hoquètent face à une rage qu'il n'avait jamais soupçonnée. Ambrose et la maîtrise de lui-même, à toute épreuve, une statue de glace, et qui fond là, pauvre flaque mutilée, juste devant ses yeux. "Goûter à la dureté des conséquences, vivre avec la culpabilité de ses erreurs ?" Le silence retombe l'espace d'un instant, tandis qu'il ralentit le flot des paroles qui veulent s'échapper d'entre ses lèvres, et que, dans son dos, une vive douleur remonte le long de son échine, rappelle à sa mémoire le souvenir du regard de Maaike, la trace pâle et meurtrie qui zèbre son poignet. Sa — jadis, leur, mais Ambrose a perdu le droit de la prétendre sienne —,  Maaike qu'il a laissé seule, abandonnée à sa douleur et à son chagrin. Sa Maaike qu'il a donnée en pâture à la colère perverse et aux mensonges éhontés, et aux prétextes fallacieux. Et tandis, qu'en lui, le visage marqué par l'affliction laisse un goût inconnu dans sa bouche et une teinte clandestine dans ses veines, quelque chose implose. Explose. Un courant d'une colère brute.
Primitive.
Ses bras balaie la prise d'un mouvement brusque, ses paumes échouent durement contre la glace de la poitrine qui lui fait face avec la solennité d'une muraille. Il repousse Ambrose, ses reproches et ses questions sans réponse avec Violence, et c'est la première fois qu'elle coule dans ses veines avec une telle intensité. S'écarte de l'emprise et lisse son col, reprend contenance tandis que son souffre erratique remplit la pièce. Et puis, c'est défiance dans le regard et venin sur la langue : "Alors quoi, c'est tout ? Vas-y, au moins maintenant tu t’en prends à quelqu’un de ta carrure." Les accents moqueurs s'entrechoquent dans sa voix, il a un rire jaune de celui qui a été mis devant le fait accompli et, pourtant, dans un coin de son esprit, une voix lui répète qu'il y est confronté par sa seule et unique faute. "Toi, comment t'as pu lui faire ça ?" Sans chercher à comprendre si la question est dirigée contre Ambrose — comment t'as pu lui mentir, interférer dans sa vie, la blesser physiquement — ou contre lui-même.
Mais peu importe. Car si Bram accepte toutes ses parts de responsabilité et plus encore, au moins peut-il se targuer d'avoir essayé. Même sans avoir les épaules, même sans être le fin calculateur qu'Ambrose prétend être à la face du monde. Au moins, lui, a-t-il essayé. Même si ses actions n'étaient pas si désintéressées que cela, au fond de lui brille toujours le désir ardent de retrouver ce qu'ils ont été.
In the end, I tried.

@Ambrose Vanderbilt